En 2007, inspirées par les 3 hectares en friche devant leur maison, deux dieulefitoises se prennent à rêver d’y construire un écolieu.
Les doux rêveurs
Enthousiastes, une dizaine de leurs amis se joignent immédiatement à elles pour dessiner ou peindre ce lieu idéal. Il n’y a pas de protocole précis dans ces rencontres mensuelles, fouillis et bien vivantes. La composition du groupe évolue et en mars 2009, nous sommes une vingtaine d’ « Ecologiques COopérateurs Réunis pour un hAbitat VIvant et solidairE » à créer l’association Ecoravie.
L’association Ecoravie
Des commissions de travail se mettent en place (recherche d’architectes, statut juridique, communication, etc.) On élabore charte et statuts. Les Conseils d’Administration, les « CA », se prolongent à 2 jours par mois. Et l’arrivée de « techniciens » (architectes, spécialistes de l’énergie, etc.) fait travailler les cerveaux gauches.
La gouvernance s’organise
Le brusque départ d’un participant nous incite à commencer les CA par un temps d’écoute sans échanges, les « états d’âmes » ou « météo personnelle », où chacun partage son vécu du projet avec le groupe. Nous instaurons les fonctions d’animateur, scribe, gardien du temps et donneur de parole, et adoptons des cartons de couleur, les Abaque de Régnier, pour voter les décisions. Les messages récurrents s’expriment désormais par signaux corporels (demander la parole, faire une intervention technique, appeler au silence, etc.) La passion des débats nous portent également à lire les 4 accords toltèques en début de CA, nous interdire les critiques sans proposition constructive et nous former à la Communication Non Violente.
La Communication Non Violente
En quête d’échanges authentiques et respectueux, nous systématisons la formation à la Communication Non Violente pour l’ensemble du groupe à partir de 2010 : week-ends de clown ou jeux coopératifs, ces expériences corporelles, émotionnelles et intellectuelles nous enrichissent tous et nous permettent de mieux nous rencontrer, voire nous confronter dans la douceur.
La CNV donnent à nos CA plus de clarté et de bienveillance, mais certains conflits subsistent, jusqu’à mettre en danger l’existence même du groupe. Nous testons alors les médiations internes. Mais en vain : des personnes quittent le projet. Même si nos difficultés relationnelles s’assouplissent, nous apprenons que « nous sommes tous uniques et défaillants » et que « le reproche rapproche. »
A ce jour, nous gardons une forte empreinte de la CNV dans notre fonctionnement, jusqu’à la mise à disposition permanente d’un gong utilisable par chacun librement, s’il juge que les échanges sortent de la CNV.
L’Université du Nous
En 2013, des tensions relationnelles réapparaissent et la fatigue règne. Après la communication, c’est notre “faire ensemble” qui est à améliorer. Nous nous tournons alors vers l’Université du Nous, découverte dans le journal Passerelleco, qui nous dote d’outils précieux :
- « La méthode des chapeaux » de Bono nous invite à résoudre les problèmes sans censurer les idées nouvelles, dérangeantes ou inhabituelles.
- Une charte relationnelle et un processus de sortie ou d’exclusion du groupe nous sortent d’un conflit difficile.
- La Gestion Par Consentement se révèle un outil fondamental : jusqu’alors, nous prenions les décisions au consensus, c’est-à-dire à l’unanimité, ce qui rendait parfois les débats laborieux et frustrants. La GPC, elle, se contente de l’absence d’objections émises contre une décision. Contrairement à une obstruction, l’objection appelle à une bonification de la proposition à l’étude par l’identification de ses limites, jusqu’à son élimination ou son adoption par tous. Le processus facilite grandement la prise des décisions et leur application.
- Afin d’assurer une répartition saine et vivante du pouvoir, nous adoptons l’Election Sans Candidat. Processus aussi précis et rigoureux que la GPC, l’ESC crée du lien entre nous, assainit les conflits larvés, encourage les individus à déployer leur juste puissance et nourri le besoin de reconnaissance de chacun.
- Désireuse de contribuer à l’émergence de modèles de gestion novateurs, l’UdN nous propose une relation financière inhabituelle: le contrat de conscience. Avant chaque formation reçue, nous nous engageons sur un tarif minimum définit par l’UdN. Mais après la formation, au regard de la prestation réellement réalisée, nous déterminons nous-même une somme que nous versons en complément du prix plancher convenu.
Notre collaboration fructueuse avec l’UdN se poursuit au fil des années :
- En 2014, après une analyse du fonctionnement de nos CA, l’UdN nous encourage à les alléger en donnant plus de travail et de pouvoir de décisions aux commissions.
- En 2015, chaque membre du groupe est encouragé à s’essayer aux rôles de facilitateur, secrétaire et observateur « méta » pendant les GPC.
Tous ces processus novateurs sont complexes mais passionnants. Notre sentiment de progresser dans la bonne direction se confirme en janvier 2015 à Die, aux « Rencontres de l’Ecologie au quotidien », où nous proposons un atelier sur la gouvernance par la GPC. Malgré nos difficultés d’animation, la bienveillance et l’amitié qui nous lient payent : notre audace enthousiasme le public de l’atelier. Nous recevons de nombreuses manifestations de chaleur et de joie… et même quelques propositions de participation financière à notre projet.
Aujourd’hui
Notre travail sur la gouvernance novatrice se poursuit avec nos enfants : progressivement, nous incluons les règles de la sociocratie aux C’Amusants, le programme d’activités qu’on leur propose pendant nos CA. Météo personnelle en début et fin de journée, utilisation de bâtons-de-paroles fabriqués eux-mêmes, partage des tâches domestiques…. La sociocratie entre dans leur vie en douceur.
A ce jour, nous constatons que notre groupe a réellement progressé dans la démocratie participative. Nous restons très attentifs et attachés à notre mode de gouvernance, puisqu’il est la manifestation quotidienne de nos valeurs fondamentales. Et nous sommes fiers d’être les partenaires d’une société en transition.